You are currently viewing Pierre Pietri

Pierre Pietri

Ce lundi 7 septembre 2020, nous sommes rassemblés sur le terre-plein de l’église de Casamacciuli pour dire au revoir à Pierre. Cela faisait six ans que le cancer avait commencé de refermer ses pinces. Six ans de combat, acharné et lucide avec pour arme principale la montagne et l’escalade. Ne rien lâcher et surtout pas les prises ! Jusqu’aux tous derniers jours, Pierre les a serré, caressé…

Pierre Pietri n’était pas un grimpeur précoce puisqu’il a dû attendre ses années universitaires pour commencer à grimper. Ce n’était pas par manque d’envie mais à cause de l’interdiction parentale pour un sport réputé écourter l’avenir de ses pratiquants. Nous sommes alors à l’époque des dernières grandes épopées alpines rapportées avec le poids des mots et le choc des photos.
Pierre n’était pas un grimpeur précoce mais il a vite rattrapé le temps perdu puisque dès sa première année de montagne, il ouvre une voie au Lombarducciu… par erreur en suivant la description erronée d’un topo. Ses parents avaient peut-être raison d’être inquiets !
Mais lorsque la machine est lancée… plus moyens de l’arrêter ! En 1979 Pierre à 23 ans. Avec son ami Sylvain Cavallini, il accompagne des groupes en randonnées une semaine sur deux. Dès le dimanche soir, ils montent prendre leurs quartiers « à la belle » au pied de la face Nord de la Paglia Orba car le refuge de Ciotulu di i Mori n’existait pas encore.
Pierre raconte* : << Cette année-là, nous avons écumé la Paglia Orba, ouvrant une voie par jour ; jusqu’à 4 par semaine ! Les jours de récupération, nous faisions des chronos dans la Finch, en face Est. Quand Sylvain est revenu avec un chrono de 15 minutes, j’ai décidé d’arrêter ce jeu dangereux ! Pourtant, ce n’était pas une approche  »trompe la mort » de l’escalade comme certains l’on qualifiée car il n’y avait pas plus hédoniste et heureux de vivre que nous et cette compétition dans la Finch, en excellent rocher et cotations parfaitement maîtrisées en atteste. Avec Sylvain, c’était génial ! C’était à celui qui traçait la plus belle longueur et la plus… aventureuse je dirais. Il y avait une émulation permanente. En plus, nous avions deux styles et deux personnalités complètement différentes, Sylvain était un bloqueur qui avait pris de la hauteur et moi, un type endurant. C’était parfait, on se complétait à merveille.
Il m’arrivait aussi de grimper seul, parfois contraint, parfois par choix.
Ainsi, toujours cet été 1979, j’ai ouvert Le Facteur d’orgues, en face Nord de la Paglia. Cette première ouverture en solitaire m’a vraiment marqué. J’avais coté un passage en laminoir en 6a mais aujourd’hui, je pense qu’il vaudrait 6c. Et un peu plus haut, bloqué, j’avais dû faire un bricolage avec des « ficellous » pour penduler et rejoindre une fissure parallèle sur la gauche. En fait, c’était une fuite permanente vers le haut… D’ailleurs cette voie n’a presque jamais été répétée.
Question matériel, ce n’est pas compliqué, les premières années, nous n’avions que quelques pitons, des stoppeurs et des Excentrics qu’on avait percé pour les alléger, de vrais gruyères ! Les friends sont arrivés un peu plus tard, au début des années 80, mais au compte-gouttes parce qu’on n’avait pas un rond.>>
Pour Pierre, plus qu’une passion, la montagne est une vocation et logiquement il entame la formation de guide en 1985. Avec Pierrot Griscelli, il s’entraîne en ouvrant un peu partout sur l’île des grandes voies et des couennes. La place ne manque pas et tout reste à faire.
Un événement va leur ouvrir des horizons nouveaux :
« En 88 c’est le déclic avec Conte de pluie et de lune, la voie d’Hagenmuller aux Teghie (Bavella). Il avait osé ouvrir pleine dalle, perfo en bandoulière ! Lorsqu’on l’a répétée, ça nous a foutu un sacré choc : on ne comprenait pas comment il avait fait pour percer ; parce que pour amorcer le trou, il te faut un contre-appui, et là que dalle ! D’ailleurs, il s’en était collé quelques-unes au moment du perçage, et pas des petites. Cette nouvelle approche de l’ouverture nous a vraiment marqués et à notre tour, on s’est mis à ouvrir sur spits. »
Depuis, et jusqu’aux dernières années, Pierre a mené ou accompagné la progression du haut niveau en Corse. Il a visité toutes les parois de l’île, ouvrant plusieurs itinéraires de référence. En falaise, il a signé les premiers 7a et 7b insulaires (1985), et hier encore il «plafonnait» dans les toits en 8b de Saint Florent ce qui lui laissait peu de temps pour le reste, tout le reste, ses aventures spontanées comme il les appelait : L’ascension d’un éperon vierge au fin fond du massif de Popolasca, la descente banzaï en ski de la face Ouest du Capu Larghja ou l’équipement d’une voies de 80 m dans la grotte du Millénium en Sardaigne, passant 3 journées pendues sous les stalactites et pissant dans une bouteille. Et toutes les autres aventures inconnues qui ont données naissance à la légende de « La malle au trésor », cette petite commode contenant les cahiers d’écolier où Pierre archivait avec rigueur les topos de toutes ses réalisations. << Ils ne sont pas secrets, disait-il, mais je n’ai pas le temps de m’en occuper>>.

Les morts ne sont vraiment morts que lorsque les vivants les ont oubliés. Ce jour de septembre 2020, on a enterré le corps de Pierre au pied des montagnes, de sa montagne, mais son âme, elle, vit dans chacune de ses voies.

* récits tirés d’une interview donné au magazine italien Alp ou récoltés « à la source ».

**  Le PLB (Petit Livre Bleu), de son vrai nom Corse – escalade choisies – Tome 1 est le seul topo complet sur la Paglia Orba. les voies ouvertes après la parution du PLB n’ont jamais été publiées et seuls quelques compagnons de Pierre en ont entendu parler au hasard d’une conversation au pied d’une falaise ou plus rarement au détour d’un forum d’escalade.